Aller simple pour la taïga.
« Quinze sortes de ketchup. A cause de choses pareilles, j’ai eu envie de quitter ce monde. »
La réflexion, lâchée dès la première page donne tout de suite le ton.
Alliant l’humour et la pensée, en passant par la contemplation du monde, Sylvain Tesson nous livre ses états d’âme depuis sa cabane perdue dans la taïga, au bord du lac Baïkal. Grand voyageur, l’homme s’était promis de vivre six mois en solitaire en Sibérie, loin de la folie de Paris, loin de tout. En résulte une fresque haute en couleurs, qui transporte et fait vibrer.
Au fil des pages, le dépaysement est total. Le lac gelé, la flore, le réveil de la faune au mois de mai, emmènent le lecteur loin de son ennui quotidien pour son plus grand plaisir. Un chapitre pour un mois passé là -bas, on assiste à la beauté de l’hiver : « Les stalactites gouttent au rebord de l’auvent » ; mais aussi à la renaissance de la nature : « La première vraie journée de printemps est une année importante dans une année d’homme. » On aurait presque envie, nous aussi, de tout plaquer et de nous réfugier au cÅ“ur de cette Russie encore rustique mais pas moins heureuse que notre monde occidental.
Et puis, quand on commence à creuser sous la surface gelée du dépaysement, on se rend compte que partager les uniques pensées d’un homme reclus dans la taïga nous rend proche de lui. On fait ainsi la rencontre d’un narrateur devenu attachant, comme lors du départ de sa femme : « Et puis tout s’écroule. Sur le téléphone satellite, […] cinq lignes s’affichent, plus douloureuses qu’un coup de fer rouge. » Le pauvre bougre noiera son désespoir dans la vodka et les livres, tout en continuant à ponctuer son journal de bord de ses pensées incisives.
Mais l’idée principale soutenue par le journaliste est toute autre, l’essai est une sorte d’invitation à la réflexion sur la société de consommation d’aujourd’hui, et l’empressement de notre monde occidental. Tesson dénonce et condamne, toujours au moyen de phrases chocs ayant pour seul but de faire réfléchir. Et il touche au but ! Le style d’écriture est en effet très fin ainsi que précis. L’humour est parfois même omniprésent, particulièrement lors des dialogues entre Tesson et ses amis russes ou bien sa propre description de ses derniers : « […] la Russie, nation qui envoie des fusées dans l’espace et où l’on se bat contre les loups à coups de pierre. »
Sylvain Tesson publie avec Dans les forêts de Sibérie une histoire forte, provocatrice et touchante. L’essai n’aura pas de mal à convaincre le grand public après avoir remporté les concours (prix Médicis de l’année dans sa catégorie.) Et c’est tout le bien qu’on lui souhaite.
Dans les forêts de Sibérie / Sylvain Tesson.- Gallimard, NRF, 2011
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